Le système de santé de Bababé, Mauritanie, à l’épreuve de COVID 19

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En Mauritanie, les premiers cas de COVID-19 ont été enregistrés à partir du 13 mars 2020. A ce jour, le pays compte 6 cas confirmés, dont 4 importés d’Europe, 1 cas de transmission communautaire à Nouakchott, la capitale, et 1 cas importé dans la ville de Kaédi au sud du pays, en provenance du Sénégal. Un cas est décédé à domicile. Les deux villes sont déclarées comme foyers COVID-19 en Mauritanie.

Dès le 15 mars les premières mesures gouvernementales se sont mises en place allant de la fermeture des frontières, à l’instauration du couvre-feu et la quarantaine des cas. Ces mesures se sont renforcées graduellement. L’élaboration d’un plan de préparation et de riposte est devenue dès lors une priorité pour le ministère de la santé et ses partenaires. Au niveau régional, une collaboration accrue entre les autorités sanitaires et administratives s’est mise en place.

Dès l’apparition du deuxième cas, la Moughata de Bababé, un district rural, a reçu par le biais de la Direction Régionale un lot d’équipement. Cependant, tout à fait insuffisant pour répondre aux besoins réels : 50 masques chirurgicaux, 2 blouses jetables, 1 housse mortuaire, 1 thermo flash et 1 boite de gants. A ce jour, un deuxième lot, toujours insuffisant, vient d’être réceptionné, accompagné d’une formation sur la prévention au profit de 2 infirmiers. Ceci pour l’ensemble de 14 structures sanitaires.[i]

Map of COVID-19 In Africa (from Africa CDC)
Map of COVID-19 In Africa (from Africa CDC)

Comment est-ce que le niveau opérationnel a réagi sur ces mesures ? Au niveau de Bababé, l’équipe cadre a mis la thématique du COVID-19 au centre de leurs préoccupations. Le centre de santé a été réorganisé afin d’assurer accueil et triage adéquats et de veiller à la prévention et le contrôle d’infections. Vu le fait que Bababé se situe à la frontière du Sénégal, un endroit connu pour des passages journaliers de marchandeurs, l’équipe, ensemble avec les autorités locales, a identifié un site de quarantaine pour ceux ayant séjourné à l’étranger. A ce moment, 16 personnes ont été mis en quarantaine ; ils sont suivis par une équipe médicale et approvisionné en nourriture par les autorités locales. Un système à travers une ligne verte [ii] est mis en place. Vu le manque de relais communautaires, des groupes de femmes et de jeunes – des bénévoles – sont formés sur la sensibilisation et appuyés par les infirmiers.

La Moughata, avec un système de santé relativement fragile, fait face à d’importants défis, notamment l’absence d’appui sur les conduites à tenir et l’impact des mesures de confinement. Les consignes sont contradictoires. Isolement à la maison ou au niveau d’un site spécifique ? Prise en charge des malades ou référence ? Ce sont des sources de discussions. L’équipe, prête à prendre sa responsabilité, n’a pas les moyens de se protéger et n’est pas équipée pour combattre l’épidémie. La prise en charge des besoins psychosociaux de ceux en quarantaine, des agents de santé eux-mêmes, et de façon générale pour faire face aux anxiétés au niveau des communautés, n’est pas prise en compte.

Et comment est-ce que la population vit toute-cela ? La pandémie est devenue le principal sujet de discussion dans les structures de santé, aux coins de rue, au marché central. Cependant, sans trop d’inquiétude concernant   le risque d’infection… Des fausses informations circulent à abondance : « Le virus ne tue que des blancs et les sujets âgés » ; « Les noirs sont immunisés » ; « Le virus est sensible à la chaleur donc on est épargné ».

Quant aux mesures de prévention, il n’y a que l’abstinence des salutations et le lavage des mains qui sont réellement pratiqués. Quant aux mesures en lien avec le confinement partiel (i.e. le couvre-feu de 18h à 6h et la fermeture des restaurants) et la mise en quarantaine, la situation continue à créer beaucoup de polémique.

La plus grande partie de la population de Bababé vit de jour en jour (le petit commerce, le transport charretier, le manu-porteur), avec une forte activité des femmes le soir et la nuit (vente de couscous). Cette vente rapporte entre 2,5 à 3,5 euros par jour; une ressource financière importante qui leur permet de survivre. La plupart des chefs de ménages gagnent leur vie au quotidien. Le fait d’écourter la journée par un couvre-feu a forcément des répercussions sur leur situation économique. Les hommes, pères de famille ou éleveurs, qui sont mis en quarantaine n’ont plus de source de revenue.

Ce sont des mesures instaurées un peu partout par le monde mais qui touchent durement les communautés les plus pauvres. Les gens commencent à se plaindre de plus en plus, mais au final restent désarmés, mal informés. Ceci mène à des protestations vis-à-vis des autorités. Il s’agit d’une question de survie pour les uns et de sécurité nationale pour les autres.

Au lieu d’accueillir ses mesures comme salvatrices et d’en rester là, la population s’organise en petits groupes et réfléchit comment faire pour enfreindre les lois imposées. D’où des arrestations quotidiennes, le soir après 18h, pour le simple motif que certains ont trainé au marché pour écouler leur dernière marchandise ou parce que des négociations sur le bétail ont tiré en longueur.

Cependant, malgré ces défis, les initiatives communautaires continuent. Les chefs de village organisent la veille et l’alerte précoce au niveau communautaire. Un groupe WhatsApp a été créé afin de coordonner et partager les informations utiles, et de diminuer les rumeurs et fausses communications. Des kits d’hygiène et des dispositifs de lavage des mains à pédale unique ont été mis à la disposition. L’équipe communautaire et les agents de santé s’organisent afin d’assurer la sensibilisation sur les mesures préventives.

Cette dynamique communautaire est remarquable : à la veille d’une grande crise qui viendra peut-être dans les jours et semaines à venir, les acteurs locaux se réunissent et se concentrent résolument sur la prévention communautaire avec comme objectif : zéro cas de COVID-19!

Biographie

Dr Yahya Gnokane est médecin généraliste avec un expérience dans le domaine de la santé publique. Il travaille depuis 2018 comme assistant technique dans le programme AI-PASS à la Moughataa de Bababé en Mauritanie.

Kirsten Accoe est sage-femme et experte en santé publique. Elle a travaillé dans divers pays en développement et travaille à l’Institut de Médicine Tropicale d’Anvers, en Belgique, depuis 2018. Elle est responsable pour le suivi du programme AI-PASS au niveau opérationnel en Mauritanie et assiste au programme éducatif de l’IMT.

Bart Criel est médecin généraliste et professeur dans le Département de santé publique de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, en Belgique. Il coordonne le suivi scientifique global du programme AI-PASS

References

[1] Projet d’Appui Institutionnel au Programme d’Appui au Secteur de la Santé, financé par l’Union Européenne et exécuté par Enabel et l’Institut de Médecine Tropicale (IMT)

[2] Un numéro de téléphone que les communautés et ceux en quarantaine puissent appeler en cas d’inquiétudes ou afin d’avoir du conseil en cas de symptômes avant de se rendre à la structure sanitaire.

Intérêts concurrents

Enabel est l’institution responsable pour la mise en œuvre du programme AI-PASS, donc chargée d’accompagner le gouvernement dans la lutte contre la pandémie. Il a signé le contrat avec la Commission Européenne (CE) et est responsable devant la CE des résultats, ou l’absence de ces derniers. Au même temps, Enabel a sous-traité le Département de la Santé Publique de l’ITM Anvers afin d’assurer le suivi scientifique du programme AI-PASS. Afin de limiter le risque de possible conflit d’intérêts, les trois auteurs ont maintenu des réflexions critiques sur leur positions actuelles à tout moment.

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