Santé mentale et COVID-19 en soins de santé primaires en Guinée: Entre stigmatisation et solidarité

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En Guinée, les statistiques de la pandémie à coronavirus publiées quotidiennement ne font pas mention des catégories socio-professionnelles des personnes infectées. Toutefois, le personnel de santé fait partie des groupes à risque pour transmettre et contracter la maladie.

Ce blogue fait suite à ceux publiés en avril et mai 2020 dans le BMJ Global Health par deux témoins privilégiés de la lutte contre le COVID-19 en Guinée.

Du 4 mai au 4 juin 2020, le nombre de cas de COVID-19 notifiés est passé de 1710 à 3991 et le nombre de décès de 9 à 23 cas, et de 1450 à 2512 guéris. Durant la même période, les mesures de restriction pour contenir l’épidémie ont été durcies, entrainant des violences et la mort de 6 manifestants dans la banlieue de Conakry. Dans sa déclaration du 22 mai 2020, le conseil scientifique a pointé du doigt des faiblesses dans le dispositif de riposte, en particulier la centralisation et la concentration des efforts sur les seuls aspects médicaux de la maladie. Or, plusieurs acteurs clés souhaitent être associés, d’autant que la ville de Conakry n’a plus le monopole de l’infection. La maladie s’est rependue dans plusieurs autres villes, dans des établissements de soins et entreprises et à la plus importante prison du pays, où un centre de traitement fut installé. C’est le cas également du centre de santé associatif de Hafia Minière, situé dans un quartier populaire de Conakry.

Le dit centre appartient à l’Organisation Non Gouvernementale « Fraternité Médicale Guinée » (FMG) qui investit dans les soins de santé primaires. Le siège de l’ONG et le centre de santé se trouvent dans deux bâtiments contigus. Dans le quartier Hafia Minière, l’accès à l’eau potable est entier. Un forage a été construit par le centre de santé pour ses propres besoins, ceux des patients et du personnel de santé. La population du quartier s’y approvisionne également, faisant de la cour du centre, un lieu de brassage quotidien entre patients, personnel de santé et riverains.

En plus de son caractère polyvalent (s’occuper de l’ensemble des problèmes de santé de sa population de responsabilité), le centre de santé assure le suivi d’une file active de 500 patients sous ARV, 450 sous traitement antituberculeux et plus de 2000 malades épileptiques et ayant des troubles mentaux. Quelques 2348 travailleuses du sexe, 233 hommes ayant les rapports sexuels avec les hommes (HSH) et 23 usagers de drogues et 531 prisonniers bénéficient des services du centre de santé sur place ou en stratégie mobile. Les enfants et les femmes enceintes reçoivent quotidiennement des vaccins et 40 accouchements sont effectués en moyenne par mois.

Dès l’apparition des premiers cas de COVID-19 à Conakry, le dispositif mis en place en période Ebola a été réactivé, notamment le lavage systématique des mains à l’eau chlorée et la prise de la température à la rentrée. La distanciation sociale, l’une des mesures phares de la prévention du COVID-19 a suivi peu à peu, mais la salle d’attente était bondée les jours d’affluence, obligeant le centre de santé à construire des bancs supplémentaires et d’aménager des nouveaux espaces d’accueil et de tri. Depuis que le nombre de cas de COVID-19 a explosé à Conakry, la fréquentation du centre a baissé pour les services courants (consultations primaires curatives et prénatales, vaccinations, soins) et la prise en charge de quelques groupes de population, en particulier les professionnelles du sexe et les hommes ayant les rapports sexuels avec les hommes. Ce n’est pas le cas pour les malades du VIH, de la tuberculose, les épileptiques et les personnes ayant des troubles  mentaux, qui viennent quasiment comme d’habitude. La relation dans la durée de ces patients, la confiance soignant-soigné, l’exclusivité et la gratuité de l’offre pourraient expliquer ce hiatus.

Le centre de santé Hafia Minière est l’un des rares dans le système de santé guinéen à s’occuper des questions de santé mentale au niveau primaire.

Le 9 mai 2020, un cas de COVID-19 testé le 5 mai est confirmé parmi le personnel du centre de santé. Le 11 mai, 72 personnes (soignants, administrateurs, stagiaires, bénévoles et quelques ouvriers) qui gravitent autour du centre de santé sont testées. Les résultats ne seront disponibles que les 15 et 16 mai 2020. Parmi eux, 11 cas se révèleront positifs et seront hospitalisés dans 3 centres de traitement différents à Conakry. Parmi les négatifs du test du 11 mai, 1 cas présentera une anosmie et la toux dès le 16 mai. Ce dernier sera conduit dans le pavillon des suspects du centre de traitement de Donka où il sera hospitalisé et son test repris. Un traitement à la chloroquine et à l’azithromycine (protocole utilisé en Guinée) lui sera proposé avant l’arrivée de son résultat positif, le 19 mai, complétant le nombre de 13 patients. Un dispositif de suivi pour l’ensemble du personnel, leurs familles et contacts sera mis en place par le centre de santé de Hafia Minière, parallèlement à celui des équipes de l’Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire. De l’ensemble de ces contacts suivis, seuls 4 conjoints et proches seront positifs durant les deux semaines qui ont suivi l’hospitalisation du dernier des 13 patients.

Du dépistage du premier cas, à l’annonce de son résultat, aux séances de prélèvement collectif, à la longue attente des résultats et leur annonce,  aux épreuves liées aux hospitalisations, aux prélèvements des conjoints et contacts des cas positifs et l’annonce de leurs résultats, nous avons relevés plusieurs évènements allant de la peur, le stress, l’angoisse, la fureur, la tension, l’isolement, des auto-confinements au centre de santé et à domicile, des pleurs et parfois de la joie de la délivrance à l’annonce d’un résultat négatif. Nous avons également relevé des prémisses d’une stigmatisation implicite et explicite dans l’environnement de travail. Au même moment cependant, une solidarité s’est construite autour des patients, d’abord à l’interne, puis dans le pays et au-delà des frontières (https://blogs.bmj.com/bmjgh/2020/05/12/covid-19-in-guinea-the-first-line-of-health-care-in-south-and-north-get-ready-for-action/). Dès l’annonce du premier cas, FMG a aussitôt mis en place un fonds de solidarité pour soutenir les collègues hospitalisés et leurs familles. Ce fonds fera rapidement ses preuves en soutenant l’achat des médicaments pour les patients avec comorbidités, de la nourriture adaptée aux souhaits des patients et un soutien fort de leurs familles.

Malgré la particularité du centre de santé Hafia Minière dans l’offre des services en santé mentale, nous avons pu déceler dans les discours et attitudes quelques indices de stigmatisation entre collègues. A la place de la distanciation sociale, nous avons parfois assisté à des évitements et des discours, genre : « Où ils/elles ont pris cette maladie, comment ont-ils pu être contaminés, est-ce que celui-ci n’était pas en contact avec eux, est-ce que celui-là ne s’est pas approché de moi, ne va plus chez celui-ci, ne t’approche plus de celui-là, ne monte plus à l’étage, ne rentre plus dans ce bureau, je ne viendrai plus au centre de santé et toi ? Comment vous pouvez continuer à ouvrir le centre de santé alors qu’il y a eu des cas, je ne veux pas que les gens sachent que je suis positif, faut pas dire à mes collègues qu’il y a eu des cas en famille… ».

A contrario, les messages de compassion et des actes la solidarité ont été également marquants : des appels téléphoniques pour donner des messages de réconfort, un accompagnement des patients dans les centres de traitement et lieux de prélèvement, une mise à disposition de ses propres moyens de déplacement, l’envoi des effets personnels des patients dans les centres de traitement, des visites aux enfants des collègues hospitalisés, la mise en relation des soignants des centres de traitement avec les patients, l’apport des repas aux patients à l’hôpital et à leurs familles à domicile, le transfert des crédits dans les téléphones, des informations aux familles sur l’état de santé de leurs parents, le soutien psychologique, le respect de l’éthique, de la confidentialité et la volonté des patients et de leurs familles sur leurs statuts sérologiques au COVID-19, la mise en place d’une commission de solidarité et la collecte des contributions. Dans cet élan, le fonds de solidarité sera équitablement utilisé : ceux qui ont des comorbidités bénéficient des médicaments non couverts par les centres de traitement, ceux qui ont des enfants en charge laissés à la maison reçoivent des soutiens proportionnés aux besoins. Qu’ils soient salariés titulaires, stagiaires ou ouvriers, chacun sera soutenu à la hauteur des besoins constatés, sans aucune discrimination.

Si l’épidémie a une répercussion importante sur la santé mentale des personnes affectées, la solidarité qu’elle créée est l’expression du symbole de la proximité des centres de santé avec les populations qu’ils desservent, la preuve de la pertinence de l’équipe dans une institution et l’esprit de la vie associative.

L’épidémie et les malheurs qu’elle engendre réveillent des sentiments multiples et variés: d’une part la peur qui peut conduire à la stigmatisation et d’autre part, la compassion, la pitié et le sentiment d’appartenance qui peut réveiller la solidarité.

Le centre de santé de Hafia Minière et son administration ont intensément vécu cette expérience  unique qui interroge le soignant en tant qu’être humain, avec ses propres émotions, sentiments et positionnement au lieu de travail.

 

Biographie :

Abdoulaye Sow, médecin généraliste et de santé publique, Directeur de Fraternité Médicale Guinée et promoteur des services de santé de première ligne et de la Formation de médecins de famille en Guinée.

Bart Criel est médecin généraliste et de santé publique, Professeur dans le Département de santé publique de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, en Belgique.

Conflit d’intérêts : Aucun

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