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Après une période avec un nombre de cas de covid-19 modeste, et un sentiment d’espoir que la bataille a été gagnée, la situation a drastiquement changé depuis. En effet, un vieil adage nous dit « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ».
Entre le 13 mars 2020, date d’apparition du 1ier cas, et le 29 avril 2020, le pays n’avait enregistré que 8 cas et 1 seul décès ; propulsant ainsi le pays parmi les nations qui avaient alors su gérer la pandémie d’une manière efficace. Cependant, depuis le 12 mai, tel un saignement causé par une artère endommagée, le nombre de cas de covid-19 n’a cessé d’évoluer exponentiellement atteignant parfois des pics de 102 cas/jour et jusqu’à 6 décès/jour. Le jour du 8 juin, le pays compte 1104 cas, dont 59 décès et 119 cas guéris. À ce moment, un total de 10 régions sur 13 est touché.
Cette flambée infectieuse touche plus particulièrement la capitale Nouakchott qui comprends 82% des cas enregistrés. De plus, les chiffres démontrent qu’une proportion de 10% des cas de covid-19 concernent des agents de santé.
La Mauritanie est passée d’une stratégie de riposte consistant à endiguer la pandémie par la fermeture des frontières aériennes et terrestres, l’arrêt de la circulation interurbaine et entre les wilayas, la fermeture des mosquées et lieux publics, le dépistage systématique aux postes frontières, la mise en quarantaine des cas venant d’un pays étranger et la mise en place de structures de prise en charge des cas de covid-19 au niveau de la capitale, à une stratégie d’une propagation contrôlée du virus à travers l’assouplissement des mesures précédentes. Au sein du ministère de la santé, les différentes Directions continuent à se préparer, et à se focaliser sur la prise en charge au niveau des hôpitaux, les formations des agents de santé et le dépistage et suivi des cas suspects. Afin d’appuyer les équipes médicales, chargées du suivi des cas, des médecins étudiants ont été recrutés
Pourquoi la première stratégie n’a pas fonctionné ?
La première riposte a été efficace pour stopper les cas importés, mais les cas communautaires n’ont jamais été réellement pris en compte car en grande partie elle reposait sur une volonté de la population du respect des mesures barrières.
Une bonne frange de la population restait également convaincue que ce virus n’existait pas : « tout ceci n’était qu’un complot venu d’ailleurs ». Cette situation était aggravée par le flux d’informations partagées sur les réseaux sociaux sur les conditions de prise en charge des patients covid-19 ou en quarantaine, entrainant une rupture de confiance entre la communauté et les autorités.
Pour diverses raisons de planifications, la formation des prestataires de soins dans la capitale a pris un temps de retard par rapport à celles de l’intérieur du pays. Cette situation, combinée au non-respect strict des mesures de prévention (port de gants, masques, etc…) par le personnel de santé et l’absence d’un système de triage efficace, a forcément contribué au bilan du covid-19 touchant directement le personnel de santé et indirectement les patients qu’il traite. Ceci a de nouveau des répercussions sur la prise en charge des cas chroniques, qui sont exposés à un plus grand risque.
Les mesures restrictives gouvernementales ont–elles été prises trop tôt, limitant le succès de ces dernières? Pourtant, dans le monde, une réponse rapide et la mise en confinement ont été appréciés comme élan de succès parmi les quelques pays qui ont pu combattre la pandémie. Un deuxième facteur important est la résilience du système, lorsque mis devant une situation stressante, il sait s’adapter et répondre de manière efficiente. La faiblesse du système de santé en Mauritanie semble donc flagrante, comme beaucoup de pays d’Afrique Subsahariens.
La nouvelle stratégie, en partie imposée par l’implosion des cas de COVID-19, car n’ayant plus assez de lits et d’espace dans les structures pour prendre en charge tous les cas, consiste à faire un suivi des cas asymptomatiques à domicile. Ceci peut présenter des risques au vu du comportement de la population vis-à-vis des mesures barrières, des croyances et l’habitude des visites à domicile familiales lorsqu’une personne est malade ou pour une simple prise de thé.
Étant dans une phase de transmission communautaire, la faible capacité de dépistage et les incertitudes dans les procédures qui conduisent à un va-et-vient des patients dans plusieurs structures, contribueront à l’expansion du virus.
Les décès liés au covid-19 sont aussi inquiétants que le nombre de cas. En effet, un bon nombre des décès ont été confirmé en post mortem dont certains à domicile. La question reste à savoir si c’est le virus qui a causé directement le décès ou bien serait-il imputé à une autre pathologie associée ?
Il est plus qu’urgent de prendre en compte le contexte actuel de la méfiance de la population en vers les structures de santé, des croyances et fausses informations, de la faible capacité de notre système de santé afin de proposer une stratégie adaptée au contexte et acceptable pour la population. L’appui des associations des jeunes et femmes afin d’organiser des campagnes de sensibilisation et un dialogue avec les communautés est plus que jamais, primordial pour la lutte contre la COVID-19.
Biographie
Yahya Gnokane est médecin généraliste avec une expérience dans le domaine de la santé publique. Il travaille depuis 2018 comme assistant technique dans le programme AI-PASS dans le district de Bababé en Mauritanie.
Kirsten Accoe est sage-femme et experte en santé publique. Elle travaille au sein du Département Santé Publique de l’Institut de Médicine Tropicale d’Anvers depuis 2018 et est responsable pour le suivi scientifique du programme AI-PASS au niveau de deux districts.
Bart Criel est médecin généraliste, expert en santé publique, et professeur dans le Département Santé Publique de l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers. Il coordonne le suivi scientifique global du programme AI-PASS.
Intérêts concurrents
Enabel est l’Agence belge de développement responsable au travers d’une convention de délégation avec l’Union européenne de la mise en œuvre du volet d’appui institutionnel du Programme d’Appui au Secteur de la santé (PASS), financé par l’Union européenne en Mauritanie dans le cadre du 11ème FED (Fond européen de développement). Actuellement, dans le cadre du PASS, Enabel appuie techniquement le gouvernement mauritanien dans la lutte contre la pandémie de COVID-19. Par ailleurs, Enabel a un accord de collaboration avec le Département de la Santé Publique de l’IMT d’Anvers afin d’assurer le suivi scientifique des activités du PASS. Afin de limiter le risque de possible conflit d’intérêts, les trois auteurs de l’article ont toujours fait preuve d’un esprit critique rigoureux malgré leur implication dans le projet AI-PASS.