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La première ligne des soins de santé primaires constitue le niveau de premier recours de soins, mais aussi de coordination et de synthèse des informations. Son rôle semble avoir volé en éclats devant le tâtonnement des réponses mal coordonnées et peu intégrées du gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) face à l’épidémie de COVID-19. Elle paraît négligée par les autorités politiques qui se placent au premier plan de la réponse sanitaire à l’épidémie.
Les autorités politiques appellent la population au confinement forcé par l’implication des militaires et des policiers, à l’observance des gestes et mesures barrières, à la fermeture des frontières, à la mise en place d’une équipe médicale mobile de riposte et à la sensibilisation de la population. Les équipes mobiles de riposte dépistent au cas par cas, met en quarantaine, et prend en charge les cas confirmés de COVID-19.
Le 03.Mai.2020, le pays a enregistré 674 cas confirmés, 33 Décès et 75 Guéris, soit en moyenne 12.5 cas confirmés/jour, 0.6 décès/jour, 1.4 guéris/jour/jour, pour les 54 jours depuis le premier cas déclaré le 10.Mars.2020.
La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont alloué 410 millions de dollars US en appui à la lutte contre le COVID-19, soit 4,56 dollars US/habitant dans ce pays de 90 millions d’habitants. Les provinces touchées sont la ville de Kinshasa et cinq autres provinces dont le Haut-Katanga (avec capitale Lubumbashi).
La situation épidémiologique de la province du Haut-Katanga a aussi évolué. Le gouvernement provincial a préparé sa riposte par l’aménagement d’un hôpital pour accueil des cas COVID-19 près de l’Aéroport international de Lubumbashi, de l’hôpital de référence du Haut-Katanga et de celui du gouvernorat, et la mise en place du comité multisectoriel de riposte comprenant les sous-commissions surveillance, communication, prise en charge, logistique et WASH. A notre connaissance, aucune structure sanitaire des districts sanitaires (le niveau opérationnel par excellence du système de santé) a bénéficié d’une préparation au COVID-19 en province.
Le 24 Avril 2020, le Haut-Katanga a enregistré son premier cas confirmé de COVID-19 en provenance de Nairobi via la Zambie. Annonçant ce cas à la télévision locale, l’autorité provinciale a invité la population à être consciente de la gravité et de la réalité du COVID-19 et à observer les gestes/mesures barrières. Un confinement imprévu a ainsi été décrété par le Gouverneur de Province pour le 28.04.2020 à Lubumbashi au motif de recherche des cas-contacts du premier cas.
Le confinement, comme noté dans notre précédent commentaire, se fait sans mesure d’encadrement, et empêche même les personnels soignants de rejoindre le service car ils habitent presque tous à distance de leurs formations sanitaires d’attache (https://blogs.bmj.com/bmjgh/2020/04/11/une-premiere-ligne-des-soins-primaires-oubliee-face-a-la-pandemie-du-covid19-le-cas-de-la-ville-de-lubumbashi-republique-democratique-du-congo/). Ceci amène ceux qui ont été en poste la veille du confinement à être laissés à eux-mêmes et à leur tour d’abandonner leurs postes car n’ayant pas été préparés à cette éventualité. Les militaires et les policiers renvoient tout le monde à la maison, y compris les véhicules de transport en commun, alors qu’il n’y a aucun véhicule pour déplacer les soignants devant relever leurs collègues du service. La communauté paie le prix, signant ainsi une déchéance du rôle de l’Etat qui face au COVID-19 passe d’un stewardship – une gestion consciencieuse et responsable du bien-être de la population – à une administration-police.
Six jours après le premier cas (30.04.2020), quatre nouveaux cas confirmés sont enregistrés à Lubumbashi. Les autorités provinciales ont rapporté que c’étaient des cas contacts du premier cas. Un autre nouveau cas a été suspecté par un prélèvement de température noté à 38°C par la garde d’une entreprise. Celle-ci a mobilisé des ambulances avec extension de l’alerte à tout le quartier. Amené dans une formation sanitaire proche, le suspect a déploré d’avoir été rudement traité dans son entreprise, mais a aussi remercié le personnel soignant de la formation sanitaire de l’avoir bien accueilli et après examen signifié qu’il n’y avait pas de problème.
Le maire de Lubumbashi a alors décrété le port obligatoire de masque dans les espaces et lieux publics, avec amende de 5 000 francs congolais (2,5 dollars USD) aux contrevenants. De telles mesures restrictives profitent aux agents de l’ordre qui se mettent à rançonner les pauvres citoyens qui ne savent plus à quel saint se vouer entre survie quotidienne et COVID-19.
Qui est donc responsable du bien-être de la population ?
Les gels hydro-alcooliques, les masques, les gants et les laves mains sont à acheter. Ceux qui les distribuent gratuitement le font sous des affinités et logiques de visibilité politiques et socio-culturelles, sans équité. Qui en achètera pour les pauvres sans ces liens ?
Si les districts sanitaires (appelés zones de santé en RDC) et leurs hôpitaux ont à peine été pris en compte dans les préparatifs, que penser alors des services des soins de première ligne ?
Actuellement, la ville compte 5 cas confirmés et stables, détectés dans le district sanitaire Tshamilemba, 0 Décès et 76 cas en cours d’investigation.
Le district sanitaire Tshamilemba est l’un des onze districts de la ville et a une seule structure sanitaire étatique des soins sur les 60 structures qu’il compte : le Centre de Santé Tshamilemba. Sur les dix médecins que compte ce centre de santé, deux ont été formés pendant une journée sur la réanimation des malades de COVID-19, juste avant la déclaration du premier cas de la ville. Le centre a reçu des affiches avec des messages de sensibilisation venues de la division provinciale de la santé, des gants, des gels hydro-alcooliques, des masques et des papiers hygiéniques venus de l’entreprise minière CHEMAF, et deux dispositifs de lavage de mains venus de deux ONG.
Les interventions au Centre de Santé Tshamilemba sont incoordonnées, inefficientes et tâtonnantes. Elles soulèvent la question de savoir si les autorités politiques prennent en compte la politique de santé du pays? Que reste-t-il de la considération des soins de santé primaires, des districts sanitaires, et des nombreux autres problèmes sanitaires qui n’ont pas disparus (paludisme, tuberculose, rougeole, malnutrition, etc.)? La situation vécue dans la ville de Lubumbashi illustre la pertinence d’une action collective et concertée pour faire face au COVID-19. Nous sommes d’avis que dans une telle démarche il y a lieu de donner un rôle clé à la première ligne des soins. autHaut-KatangaK
Biographie
Didier Chuy Kalombola est médecin, titulaire d’un diplôme de master en santé publique de l’IMT Anvers. Actuellement, il mène ses recherches sur le stewardship des systèmes de santé en milieu urbain.
Charles Kaya Mulumbati est médecin de santé publique, chercheur dans l’unité organisation des services de santé du département de santé publique à la faculté de médecine, Université de Lubumbashi, en RD Congo.
Bart Criel est médecin généraliste, expert en santé publique et Professeur dans le Département de santé publique de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, en Belgique.
Conflit d’intérêts : aucun.